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Les services d'eau français s'inscrivent-ils dans une perspective de développement durable ?

Par Marie-Agnès Bordonneau, Docteur en droit

Les services d’eau en France fonctionnent selon des modèles anciens, ayant prouvé leur efficacité, et sont même reconnus internationalement comme l’ « école française de l’eau ». Mais ces illustres acquis ne dispensent pas ces services d’évoluer. Ce modèle doit en effet s’adapter aux nouvelles exigences du public de sécurité sanitaire, de transparence dans la gestion et de respect de l’environnement. Se pose dès lors la question de savoir si les récentes évolutions intervenues dans le régime juridique encadrant cette activité (la récente loi sur l’eau et les milieux aquatiques du 30 décembre 2006 réforme en effet la politique de l’eau en France) s’inscrivent bien dans une démarche que l’on peut qualifier de « développement durable » ?

Le développement durable n’est pas qu’une formule ; cette notion est intégrée en droit interne, non seulement dans le Code de l’environnement, mais aussi -au sommet de la hiérarchie des normes- dans la Charte de l’environnement. Dans l’encadrement des services d’eau se retrouvent des préoccupations qui relèvent sans conteste du concept de développement durable dans ses aspects économiques et sociaux ou environnementaux.

Nous pourrons ainsi constater que si les premiers semblent une réelle préoccupation pour nos gouvernants (reconnaissance d’un droit à l’eau, consécration des principes d’information et de participation), les exigences environnementales (notamment le principe pollueur-payeur) ne sont pas toujours pleinement intégrées dans le droit des services d’eau.

Reconnaître un droit à l’eau constitue en effet la remarquable consécration par le droit d’un des besoins les plus essentiels pour l’homme et son développement : avoir accès à de l’eau potable pour ses besoins quotidiens. Le droit à l’eau, souvent évoqué au plan international, n’a longtemps bénéficié que d’une reconnaissance symbolique.

En droit interne, il a fallu attendre la loi sur l’eau et les milieux aquatiques du 30 décembre 2006[1] pour qu’il reçoive une formulation normative[2]. Toutefois, ce texte ne fait pas -à ce jour encore- du droit à l’eau un droit directement opposable faute d’autorité désignée pour le mettre en œuvre et de mesures concrètes d’application. Sa portée risque donc de demeurer limitée et repose actuellement sur des palliatifs (mesures sociales, droit à un logement décent, abus dans le refus de raccordement…).

En outre, lorsque l’eau est disponible, encore faut-il qu’elle soit saine. Le régime juridique particulièrement détaillé et contraignant applicable aux eaux destinées à la consommation humaine[3] est une autre illustration de l’importance qu’accorde le législateur à cet usage spécifique. Il a été récemment renforcé[4] et la jurisprudence suit la même tendance rigoureuse s’agissant des qualités sanitaires des eaux destinées à la consommation humaine qu’elle qualifie régulièrement d’obligation de résultat[5].

Dès lors, pour faire face à ces nouvelles exigences, lourdes en termes de coûts et de responsabilité, les collectivités locales ont souvent eu recours à la délégation de service public ou l’intercommunalité. Le législateur, afin de favoriser la concurrence et d’inciter au renouvellement des infrastructures vient dans la récente loi sur l’eau d’adopter diverses mesures facilitant le financement par les collectivités locales de leurs infrastructures[6]. Elle supprime notamment l’inégalité entre secteur public et privé en permettant aux communes d’appliquer, pour leurs amortissements et provisions, les mêmes principes comptables que le secteur privé. L’objectif est sur le long terme de relancer l’investissement public dans ce domaine par une approche de « gestion patrimoniale des réseaux ».

L’information du public et participation sont également des vecteurs de développement durable dans les services d’eau car ils reflètent l’implication de la société civile dans l’exercice de cette activité. Les dispositifs destinés à véhiculer une information sur la qualité de l’eau distribuée et sur les services d’eau (le principal étant le rapport annuel sur le prix et la qualité du service public d’eau potable[7]) sont pléthoriques quoique parfois obsolètes (affichage municipal!). Il n’en va pas de même du principe de participation dont le vecteur essentiel demeure la planification de la gestion de la ressource.

Ainsi, la prise en compte par le législateur des aspects sociaux et économiques du développement durable dans les textes les plus récents encadrant les services d’eau semble avérée. Il n’en va pas de même pour les aspects écologiques -pourtant fondamentaux- de cette notion.

Selon la vision européenne, inspirée du principe pollueur-payeur[8], la tarification doit refléter le coût réel de l’eau fournie et donc intégrer les atteintes que chaque usager porte à la ressource. Elle doit remplir deux conditions : être intégrale et se faire par secteur d’activité (distinguant au minimum industrie, ménages, agriculture). En France, l’instauration d’une stricte sectorisation bouleverserait un système traditionnellement fondé sur des mécanismes de péréquation et de solidarité. La France pratique en effet une solidarité par bassin notoirement « biaisée » au profit du monde agricole qui ne paie qu’une partie minime de ses coûts réels d’usage et d’assainissement de l’eau[9].

La loi réformant la politique de l’eau a fait preuve d’une grande prudence et, quoique simplifiant ce dispositif, n’a pas apporté de changement fondamental à cette organisation fondée sur un système de redevances perçues auprès de chaque usager. Les usagers des services d’eau supportent ainsi des coûts générés par d’autres usages et sans doute dans une mesure qu’ils ne peuvent compenser ; ce qui ne permet pas une protection efficace de la ressource et ne s’inscrit pas dans une démarche de développement durable.

Quant à la protection quantitative, le régime encadrant les prélèvements d’eau non domestiques vient d’être renforcé. Un décret 2006 réformant ce dispositif [10] prévoit de soumettre certains prélèvements à autorisation et d’autres à déclaration, en fonction de leur débit. Ce dispositif est encore plus strict dans des zones où, en raison de la fragilité ou de l’importance particulière du milieu, s’applique un contrôle plus strict des prélèvements (zones de répartition des eaux, ZRE). Et la loi sur l’eau et les milieux aquatiques du 30 décembre 2006 vient de créer de nouvelles zones protégées intéressant directement l’approvisionnement en eau[11]. L’identification de ces zones nouvelles, spécifiquement dédiées aux eaux potabilisables, nous semble manifester une réelle prise de conscience de la part du législateur des enjeux considérables attachés à la préservation de ces ressources afin de garantir la durabilité de l’approvisionnement en eau des populations.

En conclusion, nous pouvons affirmer que le législateur a manifesté dans les dispositions récentes qu’il consacre aux services d’eau - et notamment dans sa réforme de la politique de l’eau- sa volonté de tenir compte des exigences de développement durable (reconnaissance d’un droit à l’eau, renforcement des mesures sanitaires, protection quantitative de la ressource…). Mais il ressort aussi de cette étude que dans le domaine de l’écologie, et notamment de l’application du principe pollueur-payeur, d’importants progrès restent à accomplir. Sans prôner une application « aveugle » du principe de récupération des coûts par secteur, consciente des arbitrages délicats à pratiquer en ce domaine, nous estimons toutefois qu’un rééquilibrage, entre le « monde agricole » et le « monde des collectivités » doit s’opérer, essentiellement dans le domaine de la lutte contre la pollution, dans l’objectif d’une durabilité de tous les usages de l’eau.

La thèse de Marie-Agnès Bordonneau, Regard juridique sur la double nature de l’eau, soutenue en 2008 à l’université Aix-Marseille III est parue aux éditions Johanet.

Cet article a fait l'objet d'une première parution le 8 juin 2009 sur le site internet du Mensuel de l'Université.

Notes

[1]Loi n° 2006-1772 du 30 décembre 2006 sur l’eau et les milieux aquatiques

[2]Le nouvel alinéa 2 de article L 210-1 du Code de l’environnement dispose ainsi que « Dans le cadre des lois et règlements ainsi que des droits antérieurement établis, l’usage de l’eau appartient à tous et chaque personne physique, pour son alimentation et son hygiène, a le droit d’accéder à l’eau potable dans des conditions économiquement acceptables par tous »

[3]Articles L 1321-1 et s. et R. 1321-1 et s. du Code de la santé publique

[4]Décret n° 2007-49 du 11 janvier 2007 relatif à la sécurité sanitaire des eaux destinées à la consommation humaine

[5]Pour une illustration : Cass. civ., 1e, 30 mai 2006, Syndicat d’adduction d’eau du Trégor, Bull., 2006, I, n° 279 ; Cour d’appel de Rennes, 9 mai 2003, n° 02/04/669, Baulier, Dr. env., n° 109, juin 2003, p. 107, note R. ROMI ; Cour d’appel de Rennes, 14 novembre 1996 et Cass. Civ. 1e, 5 nov. 1996, Bull. civ. 1996, I, n° 370 ; JCP G 1997, II, n° 22822, note A. PERDRIAU.

[6]Nouvel article L 2224-11-1 du Code général des collectivités territoriales

[7]Article L 2224-5 du Code général des collectivités territoriales.

[8]Directive du Parlement et du Conseil, n° 2000/60 du 23 octobre 2000 établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l’eau, JOCE L 327, 22 décembre 2000, p. 1. Cf. spécialement article 9 « Récupération des coûts des services liés à l’utilisation de l’eau.

[9]Il apparaît ainsi effectivement - ce qui est bien connu et souvent décrié- que ces contributions en termes de redevances sont très inégales en importance, avec une forte dominance de la contribution des collectivités locales (environ 84 %) et une faible part supportée par l’agriculture (légèrement supérieure à 1 %). Cette répartition n’est en aucune façon proportionnelle aux pressions, aux niveaux de perturbation, exercés sur les milieux aquatiques respectivement par les différents types d’usagers. On retrouve la même disparité au regard des aides perçues car si les agriculteurs sont ceux qui contribuent le moins, ce sont en revanche ceux qui, en proportion, perçoivent le plus. Le ratio «aides/redevances » en ce qui concerne l’agriculture est globalement supérieur à 6 en valeurs absolues (94 M€/15 M€) et atteint presque 30 dans le domaine de la « pollution ».

[10]Décret n° 2006-881 du 17 juillet 2006, J.O du 18 juillet 2006

[11]« zones stratégiques pour la gestion de l’eau » et « zones où il est nécessaire d’assurer la protection quantitative et qualitative des aires d’alimentation des captages d’eau potable d’une importance particulière pour l’approvisionnement actuel ou futur » (Articles L 211-3 II al 5 et L 212-5-1 I al 3 du Code de l’environnement).